La redécouverte d'un trésor!

Un chef-d’œuvre de 1520 posé à même le sol

Un Salvator Mundi, un portrait du Christ en sauveur du monde, a été découvert dans une petite chapelle du Lot. La toile, d’une grande qualité artistique, sera vendue aux enchères à un prix record en septembre 2020.
Par Marine Brugeron (Le Parisien Magazine)


Dans la torpeur d’une journée de juillet 2019, deux camions de déménagement s’avancent lentement dans la cour d’un petit château du Lot. Le cortège est guidé par François de Malafosse, commissaire-priseur à Toulouse, en tournée dans la région pour plusieurs inventaires.
Le temps est compté, les rendez-vous s’enchaînent, la chaleur est caniculaire. La jeune femme qui l’a contacté quelques jours plus tôt les accueille, souriante, ouvrant grand les portes de la demeure familiale qu’elle a récemment vendue. Le château inhabité est pratiquement vide, mais il reste encore quelques armoires et buffets, dont certains méritent peut-être le détour... Dans la bâtisse de pierre en mauvais état, l’expert estime les biens en un clin d’œil. La propriétaire acquiesce et les meubles sont immédiatement emballés par les transporteurs, puis rangés dans les camions.
« Au premier regard, j’ai su que c’était beau »

La visite touche à sa fin, mais le professionnel repère une petite chapelle attenante au bâtiment. Ce sont souvent dans les endroits reculés que l’on trouve des trésors. Derrière la porte, le lieu sacré à l’abandon n’est que clair-obscur et poussière. Il faut pousser quelques bancs pour se frayer un chemin, toucher quelques objets afin d’en évaluer le potentiel. Et c’est là que, posée par terre et adossée à un mur, une grande toile attire son attention. « Dans le métier de commissaire-priseur, on voit beaucoup de choses d’une qualité moyenne, explique François de Malafosse. Là, au premier regard, j’ai su que c’était beau. »

La châtelaine, elle, ne semble pas s’émouvoir, comme lasse de l’avoir trop vu. Face à lui, un Salvator Mundi, le portrait d’un Christ en buste, la main droite levée bénissant le monde, rayonne dans la pénombre. Impossible de s’y pencher plus longuement, les camions attendent, la tournée doit continuer. Le commissaire-priseur tranche pour une estimation entre 2 000 euros et 5 000 euros et le tableau prend la route.

L’expert de chez Christie’s n’est pas convaincu

Sept mois plus tard, François de Malafosse envoie quelques photos de sa trouvaille du Lot à Pierre Etienne, directeur international du département des tableaux anciens de Christie’s. Bien qu’un peu ternie par les années, elle a beaucoup de caractère et il est persuadé qu’elle pourrait faire des étincelles lors d’une vente à Paris. L’expert n’est, tout d’abord, pas convaincu mais c’est un Salvator Mundi et le marché de l’art adore les représentations christiques. Il consent donc à une rencontre pour un tête-à-tête avec l’œuvre. Elle aura lieu un mois plus tard, en mars 2020. L’œil de la célèbre maison de vente aux enchères parisienne parcourt les réserves, au sous-sol de l’hôtel particulier, avenue Matignon, à Paris, quand la peinture arrive. Elle attend sagement à l’enregistrement, un comptoir où les objets sont répertoriés avant d’être rangés dans les rayonnages. « Une merveille », se souvient Pierre Etienne. Il approche, happé par le regard hypnotique du Messie, le prend entre ses mains et reste sans voix face à « une œuvre puissante à l’incroyable douceur ». La croix ciselée au premier plan et la broche centrale sont somptueuses de détails, le rouge du vêtement, d’une force magistrale.
L’huile sur panneau est un magnifique condensé du mouvement des peintres primitifs flamands, de l’école d’Anvers précisément, dont faisait partie Quentin Massys, le « Michel-Ange des Flandres ». Très pieux, il réalisa plusieurs Salvator Mundi, suivi par ses disciples qui produisirent des versions de plus ou moins bonne qualité. Grâce à la photographie infrarouge, les analyses permettent de révéler des dessins préparatoires sous la peinture, des esquisses « vigoureuses » au niveau de la main et de la broche, qui témoignent d’un travail de réflexion et écartent la piste d’une simple copie.
Le format très vertical (54 centimètres de hauteur sur 35,2 centimètres de largeur) fait la part belle à l’orbe, un globe terrestre surmonté d’un crucifix, symbolisant l’autorité du sauveur dans la religion chrétienne. Remarquablement exécuté, tout en finesse, il laisse voir en transparence des arbres, comme une serre enfermant la nature à préserver. Aurait-on déniché un original de Massys dans le Lot ? Pierre Etienne se lance dans une enquête minutieuse et part interroger les spécialistes du sujet. Avec l’icône dans ses valises, il rencontre, en Belgique, Till-Holger Borchert, conservateur des musées Groeninge et Arentshuis à Bruges, et le docteur Maximilian Martens, professeur d’histoire de l’art à l’université de Gand. Les experts sont formels, ce n’est pas le chef-d’œuvre espéré. Mais exécuté vers 1520, c’est une « version de la plus haute qualité, réalisée dans l’atelier de Quentin Massys ». S’entremêlent la main d’un élève doué et peut-être celle du maître anversois dans cette œuvre dont l’estimation grimpe à 50 000 euros.

Le tableau a « disparu » au fil des années

Comment cette superbe toile s’est-elle retrouvée délaissée, sans identité, dans une propriété familiale en France ? Pierre Etienne, le fin limier de Christie’s, remonte le fil de l’histoire généalogique de sa propriétaire. Le tableau serait entré dans sa famille grâce à l’un de ses aïeuls, Hermann Oppenheim, un banquier allemand et collectionneur d’art dans les années 1860-1870. Sa fille, Hélène, s’est installée en France en 1883, en épousant Henri de Saint-Jean de Lentilhac, issu d’une lignée noble aux fortes attaches dans le Lot. De génération en génération, les œuvres de la collection ont été vendues ou dispersées entre les différents héritiers.
En septembre 2020, la vente aux enchères chez Christie’s donne lieu à de belles mises : le marteau tombera finalement à 490 000 euros. La vendeuse, ravie, salue cette redécouverte et cette heureuse conclusion. Acheté par un collectionneur anversois, l’exceptionnel Salvator Mundi est parti retrouver ses Flandres natales, où il sera restauré et exposé dans l’intimité.